Le « Verrou de Bercy » 

Le projet de loi de lutte contre la fraude a été définitivement adopté le 10 octobre dernier.

La mesure phare du projet de loi est la réforme des modalités de poursuite du délit de fraude fiscale et, plus particulièrement, la suppression partielle du monopole du Ministère des Finances en la matière généralement connu sous le nom de « verrou de Bercy ».


Qu’est-ce que le « Verrou de Bercy » ?

Le Code de procédure pénale dispose en son article 31 que « le ministère public exerce l'action publique et requiert l'application de la loi, dans le respect du principe d'impartialité auquel il est tenu ».

En matière de fraude fiscale, la mise en œuvre de l’action publique déroge à ce principe de droit commun. En effet, le procureur de la République ne peut de son propre chef mettre en mouvement l’action publique. La poursuite du délit de fraude fiscale ne peut être enclenchée qu’après dépôt d’une plainte par le Ministre du budget sur avis conforme de la Commission des Infractions Fiscales qui est une commission administrative indépendante.

L’engagement des poursuites devant les juges pénaux en matière fiscale repose donc sur un procédé de poursuite sélectif relevant du pouvoir discrétionnaire de l’administration fiscale.

C’est ce procédé de poursuite sélectif qu’on appelle « Verrou de Bercy ».


Un mode de mise en œuvre des poursuites vivement critiqué

Cette modalité de mise en œuvre de l’action publique en matière de fraude fiscale existe depuis 1920.

Le « Verrou de Bercy » est un dispositif controversé.

Les raisons avancées pour son sa suppression sont généralement le manque de transparence de la procédure administrative ainsi que l’atteinte aux principes d’indépendance de l’autorité judiciaire et de la séparation des pouvoirs.

Le nombre de plaintes déposées à l’issue de ce procédé de poursuite sélectif est relativement stable et avoisine le nombre de 1.000 plaintes chaque année.


Quels sont les apports du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude adopté le 10 octobre dernier ?

L'administration fiscale aura dorénavant l'obligation de transmettre au ministère publique tous les manquements fiscaux, sur des droits dépassant un seuil de 100.000€, et ayant donné lieu à l'application des pénalités fiscales suivantes :

  • 100 % en cas d'évaluation d'office pour opposition à contrôle fiscal ; 

  • 80 % en cas de découverte d'une activité occulte, d'abus de droit, de manœuvres frauduleuses, ou encore de dissimulation de prix ; 

  • 40 % lorsque la déclaration ou l'acte n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, en cas de manquement délibéré ou d'abus de droit, lorsqu'au cours des six années civiles précédant son application le contribuable a déjà fait l'objet lors d'un précédent contrôle de l'application d'une des majorations visées ci-dessus ou d'une plainte de l'administration fiscale. 

Le seuil de transmission est ramené à 50.000 € concernant les personnes investies d’un mandat public et les hauts responsables publics.

Une levée du secret fiscal des agents des finances publiques à l'égard du procureur de la République est prévue par la loi afin de permettre la transmission des informations concernant les dossiers remplissant les critères définis ci-dessus.

Le parquet sera ensuite libre d'exercer ou non des poursuites pour fraude fiscale.

La commission des infractions fiscales ne sera plus saisie pour ces dossiers.


Quelles conséquences en matière de poursuite des fraudes fiscales ?

Si l’application de ces nouveaux critères devrait avoir pour conséquence un doublement des affaires transmises par le Ministère des finances au Parquet (soit environ 2.000 dossiers), une grande majorité des dossiers contentieux continuera d’être soumis à la procédure de poursuite dérogatoire.

Il convient donc d’évoquer plutôt un assouplissement du « Verrou de Bercy » que la fin du monopole de l’opportunité des poursuites par le Ministère des Finances.

 

PénalPaul STURBOIS-NACHEF